• April 2022
  • Marie Allibert
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Dans les années 1970, les féministes militaient autour du slogan « le privé est politique », affirmant ainsi la dimension systémique de problèmes souvent perçus comme individuels et familiaux. Cinquante ans plus tard, le privé est non seulement devenu politique, mais il fait également irruption dans le monde du travail : certaines entreprises (on peut d’office préciser certains grands groupes) se saisissent de la problématique des violences intrafamiliales, soulevant immanquablement des réactions de type : « Mais de quoi je me mêle ? », « On est une entreprise, pas l’armée du Salut »… Alors, comment et pourquoi les entreprises ont-elles le droit, voire le devoir, de se préoccuper de la vie personnelle de leurs salariées ?

Image Violences intra-familiales

« Violences intrafamiliales », de quoi parle-t-on ?

Aujourd’hui en France, une femme meurt assassinée par son conjoint (ou ex-conjoint) tous les trois jours, et 225 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Au cours de sa vie, une femme sur 10 est confrontée à la violence de son partenaire, et seul un très petit nombre d’entre elles parvient à porter plainte.

Les confinements successifs ont terriblement aggravé la situation, mettant les femmes victimes sous l’emprise permanente de leur conjoint, dans un contexte difficile : promiscuité forcée, angoisse liée à la pandémie, impossibilité de s’aérer l’esprit et de se distraire, craintes pour l’avenir économique…

Les numéros d’aide aux victimes ont été submergés pendant le confinement : certaines associations font état d’une augmentation de 400 % entre la semaine précédant le confinement et la semaine du 20 avril ! Pour l’ensemble de l’année 2020, l’ONU estime que les violences conjugales ont augmenté de 30 % en France.

 

Pourquoi cela concerne-t-il les entreprises ?

Les frontières géographiques entre le travail et le domicile ont été complètement brouillées par la pandémie et l’explosion du télétravail qu’elle a générée : le domicile est devenu un lieu de travail où l’employeur est tenu d’assumer ses responsabilités, notamment la protection de la sécurité et de la santé des salarié.e.s. La violence conjugale fait courir aux victimes des risques psycho-sociaux majeurs, que l’entreprise a le devoir d’identifier et de prévenir.

Cette démarche est de toute façon dans l’intérêt des entreprises, pour lesquelles les violences conjugales représentent un coût (notamment du fait des arrêts de travail et de l’absentéisme). Les victimes décrivent souvent une baisse de leurs capacités de concentration et de leur motivation et un état de stress et de détresse psychologique qui nuisent à leur performance professionnelle. En 2014, l’organisme EIGE estimait le coût des violences conjugales à 122 milliards d’euros dans l’Union européenne.

C’est donc à la fois un devoir moral, une obligation légale et une logique économique que de venir en aide aux salariées victimes de violences domestiques.

 

L’entreprise aide les femmes victimes de violences de trois façons

→ Elle garantit leur autonomie financière.

L’indépendance financière des femmes est une condition sine qua non de leur capacité à quitter un conjoint violent. Maintenir dans l’emploi les 52 % de femmes battues qui sont salariées est essentiel et requiert des entreprises qu’elles soient en mesure de les identifier pour les protéger.

→ Elle préserve le lien social.

En entreprise, les femmes victimes peuvent maintenir un lien social souvent réduit à peau de chagrin par un mari ou conjoint violent qui, dans le cadre de sa stratégie de l’agresseur, isole la victime et la coupe de ses proches.

→ Elle est un lieu de protection.

Être au travail, c’est souvent être loin du domicile et du conjoint violent. Cette distance physique peut permettre à la femme victime de demander une aide qu’elle n’a pas l’occasion de demander ailleurs, faute de moments hors de la surveillance de son mari ou conjoint.

Agir, oui, mais pour faire quoi et comment ?

La prise en charge des victimes de violences intrafamiliales ne s’improvise pas, et il n’est pas question de demander aux managers et/ou aux collaborateurs.rices d’assumer ce rôle. En revanche, certains bons réflexes peuvent permettre de mettre le pied à l’étrier des femmes victimes pour qu’elles puissent demander de l’aide et se faire accompagner par les structures et personnes adéquates.

1. Détecter

Dans plus de 40 % des cas, les victimes se confient à un collègue. Pour celles qui ne le font pas, certains signaux peuvent alerter : changement de comportement ou d’humeur, retards et absences (ou au contraire présentéisme extrême), demandes de mutation subites, marques physiques de violences… Encourager les managers à être attentifs.ives à ces signaux plus ou moins faibles, c’est maximiser les chances de détecter les femmes qui pourraient avoir besoin d’aide.

2. Écouter

Écouter, c’est accueillir la parole d’une collègue qui se confie, en lui disant : 1) qu’on la croit, 2) que ce qu’elle vit n’est pas normal, 3) qu’il existe des ressources pour l’aider. Il est important de ne pas minimiser son vécu (« ça va sûrement s’arranger », « les disputes, ça arrive »…), de ne pas la culpabiliser (« le pauvre, il regrette sûrement », « mais pourquoi tu n’as pas porté plainte ? »), et de ne pas mettre en doute sa parole.

3. Informer

La prise en charge des victimes de violences étant un métier, il est important de savoir orienter les victimes vers les bonnes personnes-ressources, en précisant en quoi elles peuvent aider. Dans les grandes entreprises, il y a souvent une assistante sociale qui peut conseiller et orienter vers les bonnes structures et associations, tout en étant soumise au secret professionnel.

Quelques initiatives

Ainsi, le Groupe BNP Paribas a créé il y a 15 ans un Pôle d’Action Sociale composé d’une quarantaine d’assistantes sociales, dont la mission est de venir en aide aux collaboratrices et aux collaborateurs sur tous les sujets d’ordre professionnel ou privé. L’entreprise propose aussi des campagnes d’alerte et de sensibilisation en interne et en externe, des formations, la mise en relation avec des associations spécialisées, un accompagnement, et bien sûr le maintien dans l’emploi, qui est une priorité.

Certaines entreprises proposent des dispositifs d’accompagnement spécifiques : autorisation pour la salariée de s’absenter pour ses démarches, obtention de mutation urgente, interdiction de l’accès au bâtiment pour le conjoint violent… Quels que soient les dispositifs propres à l’entreprise, l’essentiel est que les managers et les RH en aient connaissance, afin de pouvoir apporter aux victimes des informations exactes et nécessaires à leur démarche.

Ainsi, chez PSA, les femmes victimes peuvent bénéficier d’aménagements horaires, de conseils juridiques ou d’une aide à la recherche d’un nouveau logement. Le Groupe est pionnier en la matière, puisque dès 2009 le DRH a signé un accord prévoyant le relais à l’interne des campagnes nationales de prévention et la formation des services RH, sociaux et médicaux à l’accueil des victimes.

De même, La Poste accompagne les femmes victimes pour trouver si besoin des « solutions de mobilité géographique » et accorde jusqu’à trois jours « d’autorisation spéciale d’absence » pour « réaliser les démarches administratives requises ».

 

Quelques ressources

Les ressources et informations sont nombreuses et souvent proposées gratuitement par les associations. Quelques exemples ici :