• December 2015
  • Eric Camel
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Comment expliquer la crise du journalisme alors qu’il n’y a jamais eu autant d’appétence pour de bons « storyteller », autant de demande de sens et de contextualisation ? A partir de ce paradoxe, le dernier papier d’Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télevision, livre une analyse ouverte, et stimulante pour nos métiers du contenu et de la communication.

Journalisme révolution

Le problème est-il technique, économique, organisationnel ? Un peu de tout cela, mais il est surtout CULTUREL. C’est dans la tête des rédactions que se jouent les principaux blocages. Car répondre au besoin d’information d’aujourd’hui, c’est opérer 3 mutations.

Un changement de boite à outils

Hier, l’outil roi était le mot. Aujourd’hui, c’est l’image. Dans une économie de l’attention sous tension, les images sont les médias les plus puissants. La cartographie et la photo ont toujours été des adjuvants du texte. On illustrait un article. La hiérarchie s’inverse : l’image prend désormais le pouvoir, « les histoires se structurent autour de l’image ». Pour les rédacteurs, c’est une nouvelle syntaxe, une nouvelle grammaire à développer. Comment produire mon « papier » (!) en photo, en vidéo, en datavisualisation, en vidéo immersive … et comment jouer avec la palette des applis visuelles, de news ou des médias sociaux où l’image domine ? Mieux, l’image est et sera de plus en plus consommée sur mobile, terminal qui aspire près des deux tiers du trafic en ligne. Et qui transforme radicalement les codes narratifs.

 

Un changement de regard

Notre monde « technologique, complexe, changeant, chaotique »… est nécessairement anxiogène. Face au changement (et -soyons honnêtes- à la dégradation de leurs conditions d’exercice) les journalistes développent volontiers « des postures accablées et une culture de l’impuissance ». Postures qui détournent les jeunes générations de la consommation de médias « classiques »… Le cercle vicieux est en marche. A cette tendance dépressive, Eric Scherrer répond par l’éloge d’un « journalisme prospectif », qui regarde en avant, qui cherche les problèmes ET les solutions, qui va au-delà des 5 W , et explore aussi le « so what » et le « now what ». « C’est avant tout un journalisme utile, un journalisme placé sous le signe du service pour réinventer, résister, reconstruire, participer, co-créer, etc… résume Eric Scherrer. Du service, mais aussi de l’impact. Cet impact, dont tout jeune journaliste rêve de pouvoir créer sur la société. »

Un changement managérial

« Aujourd’hui, pour réussir, une rédaction doit mettre au centre les nouvelles technologies et les données, avoir un ADN social, être à l’aise avec le temps réel, les mobiles et les nouvelles plateformes de distribution qui remodèlent le journalisme, ne pas craindre la personnalisation accrue des contenus » souligne enfin Eric Scherrer. Autant dire que ce « journalisme augmenté » ne se manage pas à l’ancienne. Le journalisme d’avant était solitaire, séquençé et hiérarchisé (on écrit puis on illustre puis on maquette…). Le journalisme de demain :

  • sera collaboratif (équipes multidisciplinaires associant investigateur, éditeur, développeur, illustrateurs…voire lecteurs et témoins sans « carte de presse »)
  • se vivra en mode projet rapides et agiles (réactivité oblige…)
  • et mettra les expertises sur un pied d’égalité (les idées viendront autant des programmeurs que des rédacteurs)

Au final, ces 3 révolutions concourent à un changement radical de posture. Le journalisme « en surplomb » est mort, vive le journalisme « de feedback », capable d’interagir en continu avec les audiences, de naviguer à vue en fonction des data. Car comme le dit le Financial Time, « l’heure n’est plus au « digital first », ni au « mobile first », mais à l’ « audience first ».

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