Ce qui reste : la narration comme ADN de la communication
- Antoine Heftler
- April 2025
Cette semaine, en réunion d’agence, Eric Camel a rappelé ce qui guide Angie depuis ses débuts en 1988 : un ADN de narration qui s’incarne dans chacune des mutations de notre métier de communicants, que ces changements soient portés par des choix stratégiques ou des virages technologiques.
L’irruption de l’Intelligence Artificielle Générative oblige à nouveau à nous apostropher : “Et la narration dans tout ça ?” (1)
Une constante anthropologique, un invariant stratégique
Langage originel qui assure la survie de ceux et celles qui l’écoute, la narration est aussi celui qui construit un lien, qui transmet des émotions, et structure la mémoire collective.
Par sa répétition ritualisée ou sa variation créative, la narration tisse une trame qui relie les générations, les rôles sociaux, les appartenances symboliques. Elle fait d’un événement isolé un mythe, d’une anecdote un récit fédérateur, d’histoires multiples une Histoire commune, une Culture, une Société.
Mais la narration n’est pas un simple habillage, c’est bien une forme de cognition. Nous pensons en histoires et c’est elle qui permet à un message de prendre forme, d’être mémorisé, partagé, interprété.
En communication, elle est ce qui donne de la continuité dans le changement. Que l’on parle de mythes fondateurs, de contes traditionnels, de publicités, de threads sur X ou de vidéos TikTok, ce sont les mêmes mécanismes narratifs qui opèrent : tension, personnage, transformation. Le canal change, mais la logique narrative persiste.
Dans l’univers des marques, cette fonction s’est raffinée : on ne raconte pas seulement pour transmettre, mais pour positionner, pour fédérer, pour distinguer. C’est une grammaire de la singularité au service de la reconnaissance — plus stable qu’un logo, plus durable que des plateformes techniques. C’est le fil rouge dans le lancement de produits et services, et celui qui consolide les rapports avec les clients et partenaires sur le temps long.
Langage humain, langage machine : même prisme, logiques différentes
« Un système peut générer des énoncés syntaxiquement irréprochables tout en étant incapable de saisir leur portée pragmatique ou culturelle. La fluidité formelle masque parfois un vide sémantique. » — Benoît Sagot, Apprendre les langues aux machines, Collège de France, 2023.
Si la narration structure la communication humaine, qu’en est-il des IA ? C’est ici que les travaux récents prennent tout leur sens : les IA génératives ne pensent pas comme nous, mais elles construisent elles aussi une vision du monde à travers le langage. (2)
Leur représentation du réel est une simulation linguistique — probabiliste, déductive, parfois brillante, souvent instable. Elles peuvent reformuler une même idée en mille variantes, moduler un ton, explorer des contre-récits. Ce qui manque ? Une intention. Une direction. Une colonne vertébrale narrative.
C’est là que la narration humaine garde son rôle structurant. Elle donne le cap, le sens, la cohérence. Elle transforme une infinité de réponses en un système de sens. Elle impose une mémoire, une perspective, un horizon de sens partagé — autant de choses que l’IA, seule, ne peut formuler.
IA générative : la narration comme levier de différenciation
Dans cet écosystème fluctuant, la narration n’est pas une survivance. Elle devient un différenciateur stratégique majeur.
Pourquoi ? Parce que l’IA standardise tout ce qu’elle touche. Le style, la structure, l’angle — tout tend vers une forme de normativité issue de son entraînement.
Ce qui résiste à cette standardisation, c’est l’architecture narrative : une façon unique de poser les problèmes ; une grammaire propre de la solution ; une posture singulière dans le récit. C’est ce qui permet de créer une signature, une orientation, une fidélité au sens.
Autrement dit, la narration est le seul lieu de singularité non réplicable par l’IA.
Orchestrer, pas imposer : le rôle des communicants
Dans cet environnement, le rôle des communicants évolue. Ils ne sont plus seulement producteurs de contenu : ils deviennent chefs d’orchestre narratifs.
Leur enjeu n’est pas de cristalliser un récit, mais de structurer un écosystème de récits cohérents, adaptables, alignés. Cela suppose de savoir reconnaître les invariants, repérer les déviations, et ajuster l’IA sans dénaturer le récit.
La narration devient ici une forme de souveraineté : ce qui garantit à la marque une continuité de sens dans un monde de discontinuités.
Elle offre des points de repère aux publics, mais aussi aux IA qui interprètent, réassemblent et recommandent les contenus.
Conclusion : ce qui résiste, ce qui distingue
À l’ère des IA génératives, les marques n’ont jamais produit autant de contenu. Mais sans narration, elles ne produisent rien de reconnaissable. Rien qui reste. Rien qui distingue.
C’est donc là que se joue leur avenir : dans leur capacité à maintenir un ADN narratif clair, identifiable, transmissible. Et à en faire le fil rouge de toutes leurs expressions, humaines ou générées — le signe tangible qu’une intention demeure, derrière chaque variation.
Cet article est le quatrième d’une série consacrée à la présence et autorité des marques à l’aune de l’IA dont voici les liens :