• July 2016
  • François Guillot
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Dix jours après le début du buzz, la vidéo d’Emmanuel Faber à HEC fonce sur les deux millions de vues (1.2 million de vues sur Facebook, plus de 600 000 sur YouTube, 80 000 partages sur les réseaux sociaux).

C’est du jamais vu pour un dirigeant d’entreprise en France — qui n’est même pas l’un des plus médiatiques du Cac 40. C’est donc tout sauf anodin.

La réussite tient certainement au statut de l’intervenant (directeur général de Danone), au prestige du lieu (HEC), à la solennité du moment (la cérémonie de remise de diplôme). Mais elle tient surtout à sa puissance émotionnelle supérieure.

 

Discours d’Emmanuel Faber

Un double contre-pied

On se fait d’abord prendre à contre-pied dans la forme :

Emmanuel Faber utilise son histoire personnelle et des ressorts émotionnels (la maladie, l’amour, la mort), là où une approche plus classique de l’exercice l’obligerait à plus de rationalité, plus d’intellect, plus de distance.

Il en est d’ailleurs parfaitement conscient et ouvre son intervention sur un très « catchy » « si vous attendez un discours de référence intellectuelle, vous allez être déçus ».

Pas la peine d’insister sur la maîtrise de l’art oratoire. On pourrait parler de « TEDisation des » discours. Michel Levy-Provençal (M. TEDx en France), qui a été parmi les premiers à relayer la vidéo sur Twitter, s’est d’ailleurs fendu d’un tweet éloquent :

On se fait ensuite prendre à contre-pied sur le fond : Emmanuel Faber prône la justice sociale et seulement la justice sociale. Se méfier de la gloire, de l’argent, du pouvoir. Un discours plus philosophique que managérial, au fond.

Le besoin de leaders

Emmanuel Faber devient donc avec ce discours, comme aiment à le définir désormais nombre de médias en ligne, « le patron qui prône la justice sociale ». En cela, il et gagne ses galons d’héritier des Riboud. Il y a eu le discours de Marseille, il y a maintenant le discours d’HEC.

(Le trafic Wikipédia de la page EF suit la courbe du buzz : des dizaines de milliers d’internautes cherchent à s’informer sur lui).

Moins qu’un traître à la cause capitaliste, il devient créateur d’espoir. Celui qui cherche à réconcilier l’économique et le social. Son discours redonne de la foi à une époque où l’on a de plus en plus de mal à croire.

C’est en cela un vrai discours de leader. Certains le qualifieraient de religieux : il appelle à une réaction de type « j’y crois / j’y crois pas » (et on connaît l’engagement catholique d’Emmanuel Faber). D’autres le qualifieraient de militaire : celui qui entraîne ses troupes à sa cause par son charisme.

Le monde de l’entreprise s’est ainsi trouvé un leader d’un nouveau genre. Ce buzz montre bien qu’une importante population a envie de croire que l’entreprise peut être un lieu de réconciliation, de responsabilité, de justice et de progrès. Les anti Cash-investigation, en quelque sorte.

Cela génère bien sûr toutes sortes de critiques : les profits de Danone, les licenciements, les revenus d’Emmanuel Faber, l’affaire Elise Lucet, les contradictions… mais qui restent finalement minoritaires par rapport à l’emballement général (le buzz n’est pas devenu polémique) et ne viennent que rappeler qu’il n’y a pas de véritable leadership si on ne clive pas. J’impacte, donc je fais réagir.

Une obligation d’exemplarité pour Danone

Conséquence pour Danone et Emmanuel Faber : il faut s’attendre à être questionné sur la réconciliation de l’économique et du social par les médias et l’opinion dans les jours et semaines à venir. Et ce succès met une pression terrible à Danone sur sa politique de responsabilité : le moindre écart de conduite sera sanctionné.

Il y a sans doute chez Emmanuel Faber des contradictions, des zones grises. Mais on va plus que jamais exiger de Danone qu’elle d’assume être l’entreprise qui a inventé le double projet économique et social. Une entreprise qui va avoir une obligation d’exemplarité.

Un coup de pied dans le discours corporate

Ceci n’est pas une vidéo corporate. Emmanuel Faber n’y prononce pas le mot « Danone », ne parle pas du double projet économique et social d’Antoine Riboud, ne se sert pas de sa fameuse rencontre avec Muhammad Yunus. Il ne parle pas non plus de son rôle dans le développement du social business chez Danone.

Pendant ces 9 minutes, de Danone, il n’a que le titre. C’est avant tout Emmanuel Faber, l’individu, qui s’exprime. En son nom personnel, avec son histoire personnelle. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas Danone n’en bénéficier (on notera que le trafic Wikipédia de la page Danone a triplé pendant le buzz : des internautes cherchent à en savoir plus sur l’entreprise).

En faisant cela, Emmanuel Faber donne un grand coup de pied au discours de la performance, au langage institutionnel et bien sûr au bullshit corporate. Les codes du discours du CEO classique volent en éclat.

Il démontre qu’il y a une place pour s’exprimer de manière moins rationnelle et plus émotionnelle, moins institutionnelle et plus incarnée, d’apporter une vision de la société et pas juste du business.

Les entreprises ne s’y croyaient pas forcément autorisées, elles viennent d’avoir une démonstration brillante que c’est en réalité ce qu’on attend d’elles.

(Special thanks à Stanislas Haquet, Matthieu Lebeau et Capucine Petre pour les échanges et contributions).