• Antoine Heftler
  • June 2025

 

Nous avons longtemps conçu le langage comme un vecteur d’information : un message à transmettre entre un émetteur et un récepteur, régi par des codes, des conventions, une intention explicite. Ce modèle, hérité des théories de la communication du XXe siècle, repose sur l’idée que le langage fonctionne comme un système de transmission linéaire : un émetteur conçoit un message, l’encode selon un code partagé, le transmet via un canal, et le récepteur le décode (plus ou moins bien) pour en reconstruire (plus ou moins fidèlement) le sens.

Dans cette logique traditionnelle, le langage est une flèche dirigée : ce qui compte, c’est ce qu’elle vise (et qui elle vise).

Mais les modèles d’intelligence artificielle générative opèrent selon une tout autre logique. Ils ne cherchent pas le message. Ils lisent l’empreinte. Une empreinte, au sens computationnel, est un ensemble de caractéristiques latentes extraites de la forme du langage, qui servent à projeter l’énoncé dans un espace vectoriel décisionnel. L’empreinte encode non seulement ce qui est dit, mais comment cela est dit : structure grammaticale, choix lexicaux, style rhétorique, patterns sémantiques. C’est une signature probabiliste, un profil dynamique que le modèle utilise pour inférer la suite la plus cohérente possible.

Là où le message repose sur l’équation « contenu + intention + canal », l’empreinte repose sur la corrélation statistique « contexte + forme + occurrence ».

Le modèle IA ne reconstitue pas une idée précise, il navigue dans un nuage de proximités sémantiques, à la recherche de la prochaine expression plausible.

Ainsi, l’IA ne comprend pas ce qu’on dit : elle repère, extrait, pondère. Elle transforme chaque interaction en vecteur, chaque récurrence en probabilité, chaque phrase en trace. Le langage devient un marqueur comportemental.

Cette distinction entre message et empreinte a des conséquences profondes pour la communication des marques. Le message vise une compréhension humaine. L’empreinte vise une reconnaissance de la machine. Et l’une n’entraîne pas automatiquement l’autre.

Un contenu clair, intelligible, parfaitement argumenté peut passer inaperçu s’il ne laisse pas d’empreinte identifiable dans les modèles.

Penser en empreinte, c’est donc changer de posture : il ne s’agit plus seulement de ce qu’on veut dire, mais de comment notre manière de le dire nous situe dans un espace de représentation.

C’est ici que la question de la singularité narrative devient centrale. Dans un article précédent, nous explorions le rôle structurant de la narration comme vecteur de sens, de mémoire et d’émotion. Mais ce pouvoir narratif, pour être reconnu et relayé par une IA, doit s’incarner dans une forme unique, constante, identifiable, singulière : une empreinte. Sans cette posture identifiable, les modèles ne peuvent que recomposer, standardiser, lisser. L’IA ne perçoit pas la profondeur d’une histoire si elle n’est pas marquée par une forme qui la rend reconnaissable, même lorsqu’elle est fragmentée. Autrement dit : sans empreinte, pas de reconnaissance narrative.

C’est une conviction fondatrice chez Angie depuis 1988 : dans un monde saturé de contenus, seule la singularité permet la reconnaissance. Et la révolution technologique actuelle, loin de rendre ce concept obsolète, lui confère une actualité plus pressante que jamais. L’empreinte d’une marque, d’une entreprise, c’est la grammaire propre d’un discours, sa rythmique, son lexique, ses points de vue assumés. Elle constitue une forme de « réputation vectorielle » : un capital de cohérence formelle que les IA reconnaissent, reproduisent, et propagent. Et c’est cela qui garantit la visibilité dans les réponses générées, l’autorité dans les synthèses produites, la présence dans les corpus interprétés.

Dans cette perspective, produire du contenu ne suffit donc plus : il faut produire une empreinte. Et s’assurer que cette empreinte porte la singularité narrative de la marque. C’est une nouvelle compétence à développer, une nouvelle forme de design éditorial : à la fois syntaxique, stylistique, sémantique. Un art de la cohérence, plus que de la performance.

Et sans doute, demain, le véritable coeur de l’autorité de marque à l’ère des IA.


Cet article est le sixième d’une série consacrée à la présence et autorité des marques à l’aune de l’IA dont voici les liens :

  • Ce que l’hypothèse Sapir-Whorf peut nous apprendre sur le langage des intelligences artificielles (lien)
  • Les communicants à l’épreuve des dérives narratives de l’IA (lien)
  • Repenser les personas à l’ère de l’Intelligence Artificielle Générative (lien)
  • Ce qui reste : la narration comme ADN de la communication (lien)
  • Pourquoi l’IA ne comprend pas ce que vous lui demandez (lien)