• July 2015
  • François Guillot
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« Ca prend trop de temps » ; « C’est pour les jeunes » ; « On n’est pas en sécurité » ; « On ne peut pas maîtriser » ; « Ca n’est pas si important » ; « C’est superficiel » ; « Il y a de l’usurpation et de la manipulation »…

Autant de remarques que les Chief Digital Officers (CDO), responsables de la transformation digitale, ou tout autres personnes chargées de conduire le changement digital, ont l’habitude d’entendre. Autant de symptômes de la résistance au changement.

Les manifestations de la résistance au changement

Ces remarques peuvent être fondées ou infondées, rationnelles ou irrationnelles. Elles mélangent le point de vue personnel et professionnel, souvent. Elles peuvent révéler des inquiétudes légitimes ou servir d’excuses. Toujours est-il qu’il faut les traiter.

La résistance est inhérente aux processus de changement. La transformation digitale étant un processus de changement, il est parfaitement naturel qu’elle rencontre des résistances. La question pour le responsable de la transformation digitale est de comprendre la nature de ces résistances pour mieux pouvoir les traiter

Si l’on y regarde de plus près, on observe 8 types de manifestations de la résistance au changement :

1. L’argument du manque d’intérêt

Il s’agit pour le résistant de remettre en question, ou de minimiser, l’importance du digital, d’une manière générale, pour son entreprise (enjeu général), ou pour soi (enjeu particulier).

Les manifestations possibles : « Oui enfin tout ça sert à quoi au fond.. » ; « On se porte très bien comme ça » ; « Ce changement ne me touche que de loin » ; « Voyons d’abord si ça prend car il y a des effets de mode »…

Nous sommes arrivés à un stade de l’histoire où le champion digital a moins besoin de se battre sur l’enjeu général : après 15 ans de changements, l’importance du digital est moins questionnée.

Si la question devait se poser, toutefois, une des réponses possibles est celle du risque de non-investissement : quand des facteurs externes viennent modifier l’environnement d’une entreprise, la question à se poser est moins celle du ROI (Return On Investment) que celle du RONI (Risk of Non-Investment).

Sur l’enjeu particulier, le « cela ne me concerne pas », il y a encore match. Et autant de réponses et d’arguments à trouver que de situations individuelles.

2. L’argument du manque de temps

Il s’agit chez le résistant de l’invocation du manque de temps : « je n’ai pas le temps », « c’est chronophage »… En apparence, l’intérêt n’est pas questionné : si j’avais les ressources en temps, bien sûr que je m’y mettrais.

Pourtant, nous disposons tous du même temps. 24 heures dans une journée, 35 heures en théorie dans une semaine de travail. Dans ce temps disponible, nous gérons nos priorités : nous faisons ce qui est le plus important.

On peut donc réfuter facilement l’argument du temps, qui n’est finalement qu’une mauvaise excuse. Personne n’a pas de temps pour s’intéresser au digital. Il ne s’agit que d’intérêt ou de priorités.

Et si on en revient à la question des priorités, on en revient à la question de la valeur ajoutée pour soi. Retour au point 1

3. L’argument du fossé générationnel

La 3ème forme de résistance est l’invocation de la génération : « mes enfants sont dessus mais pas moi » ; « c’est pour les jeunes » ; « chez nous la moyenne d’âge est élevée »…

Alors oui, il y a une plus grande facilité à la prise en main chez les plus jeunes ; mais à l’inverse, nous connaissons tous des seniors capables de donner des leçons de technophilie aux juniors.

La caractéristique des outils digitaux est que, plus on avance, plus ils sont faciles à prendre en mains et universels.

Finalement, la plus grande ligne de fracture n’est sans doute pas entre les anciens et les modernes, mais entre les curieux et ceux qui ne le sont pas. Le numérique et tout ce qu’il peut changer dans la société constitue en effet un excellent marqueur de curiosité. S’y intéresser, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit.

Tout cela nous renvoie aux enjeux culturels — plutôt que techniques. Le cœur du problème est là, pas dans des affaires de génération.

Autrement dit, si l’on vous parle de génération, répondez curiosité, répondez culture.

4. L’argument de la manière d’être

Certaines formes de résistance au changement digital évoquent des problèmes de manière d’être : « c’est superficiel » ; « on ne se parle plus » ; « je préfère les relations humaines en face à face » ; « tout le monde est le nez dans son téléphone » ; « les réseaux sociaux, c’est très égocentrique », « ça mélange la vie privée et la vie professionnelle ».

Pas toujours faux. Beaucoup d’individus actifs en ligne sont motivés par un besoin de reconnaissance. Beaucoup de contenus sur Facebook sont légers, très légers. Oui, les vies personnelles et professionnelles se mélangent, si on le veut bien.

Mais tous les médias sociaux ne se ressemblent pas. On trouve des réseaux sociaux personnels, des réseaux professionnels, des outils pour s’informer, des territoires pour discuter, des médias généralistes, des communautés thématiques, du sérieux, du LOL.

Il y a à boire et à manger dans l’univers numérique. Chacun peut en faire l’usage qui lui convient — plutôt que de tour rejeter en bloc au motif de ces facteurs culturels… et déplorer celui des autres

5. L’argument du manque de compétences

Il s’agit du « je ne sais pas faire », « c’est compliqué », « c’est technique » ou autres « l’ergonomie est pourrie ».

L’enjeu ici est de rassurer en passant du temps à montrer comment les choses marchent. C’est pour cela que les formations sont clés dans la transformation digitale. Elles rassurent, créent un dialoguent et mettent le pied à l’étrier.

C’est en se faisant accompagner que le réfractaire réalisera que tous les services qui marchent sont les plus simples, intuitifs et faciles à prendre en main : Google n’est rien d’autre qu’une page blanche avec un formulaire pour entrer des mots-clé. Apple a rendu les outils magiques de simplicité. Facebook a battu Myspace (notamment) parce que son ergonomie était plus simple et intuitive. Le Bon Coin fait un carton parce que c’est un site anti-geek au possible.

Affirmer la simplicité : c’est aussi pour cela que le champion digital doit se rendre intelligible en toutes circonstances.

6. L’argument de la mauvaise expérience

Le résistant peut aussi invoquer des expériences déjà conduites et non concluantes : « on l’a déjà fait » ; « ça ne marche pas, ces trucs là ».

C’est en particulier un classique pour les réseaux sociaux d’entreprise, dont beaucoup d’entreprises sont insatisfaites. L’erreur consiste généralement d’abord à se focaliser sur l’outil : or, si l’on prend l’exemple du réseau social d’entreprise, il s’agit moins d’un outil que d’un projet de changement au service du partage, de la collaboration, de la socialisation ou de l’innovation.

Puis elle s’étend en attribuant l’échec « au digital » en général plutôt qu’à chercher les vraies bonnes raisons. Dans le cas d’un réseau social interne, les raisons sont en général à chercher dans la culture d’entreprise et dans l’accompagnement du projet.

 

7. L’argument du far west

Le web, perçu comme un territoire sans foi ni loi : « on ne peut pas maîtriser ce qui se passe » ; « il y a de l’usurpation d’identité et de la manipulation d’information » ; « il faudrait des instances de régulation »…

Là encore, les problèmes propres à l’entreprise (comment maîtriser les messages qui la concernent) et les problèmes de société (vérification de l’information, dangers des technologies…) se mélangent.

Il ne s’agit pas d’être dans le déni : oui, la faculté pour chacun de s’exprimer publiquement produit des excès et des dérapages. Gossip en est le dernier exemple médiatisé.

Dans l’entreprise, il s’agit au fond du débat sur le lâcher-prise de la prise de l’information. L’abandon de la maîtrise totale est un concept très violent pour beaucoup. Pour autant, le lâcher-prise n’est pas négociable dans la culture digitale.

Que peut faire le champion digital ? Pas forcément grand-chose. L’apprentissage du lâcher-prise se fait avec le temps. Les processus de changement sont longs et la patience est la meilleure arme.

8. L’argument éthique

Données personnelles, protection de la vie privée, droit à l’oubli… Les critiques de nature éthique sont très présentes dans l’univers numérique.

Et le fond n’est pas nul et non avenu. Quand le magazine Le Tigre fait le portrait d’un internaute à partir de son empreinte digitale, il joue un rôle de lanceur d’alerte sur un vrai sujet de fond : la protection de la vie privée.

Les résistants au changement numérique peuvent donc assez volontiers invoquer des arguments éthiques : « je préfère ne pas être sur les réseaux sociaux » en est une manifestation possible.

Deux réponses me semblent faire sens face à ce type de remarques. La première consiste à considérer qu’il vaut mieux être familier de l’univers digital pour être capable de gérer son identité et ses données. Choisir plutôt que subir, ce qui n’implique pas d’avoir une présence tous azimuts et d’être hyperactif pour autant.

L’autre consiste tout simplement à dire qu’il s’agit d’un sujet personnel qui est effectivement clivant, mais que dans l’entreprise, il ne s’agit pas de savoir si le digital est bon ou mauvais. Il s’agit de savoir ce que l’on peut en faire pour avancer. Car qu’on le veuille ou non, il s’agit du monde dans lequel on vit.

 

Les étapes du changement

Ces 8 manifestations, plus ou moins déterminées, sont rencontrées à différents stades du changement digital.

Pour comprendre comment se fait le changement, le travail sur les phases du deuil conduit par Elisabeth Kübler-Ross et adapté au monde de l’entreprise s’avère très éclairant. Il permet de comprendre les phases que les chacun traverse pour passer d’un monde à un autre : on commence par refuser de voir et de comprendre le changement ; on se convainc ensuite qu’il ne s’applique pas à soi ; on essaie des changements possibles ; on finit par embrasser le changement et à s’en faire l’ambassadeur auprès de son entourage, comme le montre le schéma ci-dessous (source).

Le changement est donc un processus long : le CDO a encore quelques années de travail devant lui.

Mais il se fera car il est inéluctable. Le rôle des responsables de la transformation digitale est de faire en sorte qu’il soit un changement positif.

Il ne s’agit donc pas seulement de savoir traiter les 8 types d’objections identifiées ici (nécessaire mais pas suffisant). Il s’agit aussi — et quand même surtout— de travailler sur les bénéfices du digital pour son entreprise : les identifier, les énoncer, les démontrer.

Mais ça, c’est une autre histoire.

Article paru initialement ici.

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