• July 2019
  • Eric Camel
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À l’heure du « capitalisme d’opinion », la principale limite au développement de l’entreprise est son acceptabilité. D’où l’emphase désormais mise sur la raison d’être et la responsabilité. Mais pour acquérir toutes leurs forces, celles-ci ont besoin du soutien des salariés. Un soutien qui dérive moins de l’autorité que du consentement.

L’interne une partie prenante

L’engagement a mauvaise réputation. Il est fréquemment suspecté, par son apparentement au militantisme et à l’armée, de mettre l’emphase sur la soumission. Alors que les partis sont en crise et que l’armée est devenue un métier, comment y faire encore référence ? Alors que l’entreprise valorise la créativité et l’autonomie, ne tangente-t-il pas l’anachronisme ?

Et pourtant, bien défini, associé davantage à la libre disposition qu’à la soumission et largement flexible (entre l’attentif, le défenseur et le contributeur, il y a de nombreux types d’engagés), le concept est fertile, notamment pour la communication interne.

Commençons par la définition. La littérature sur les RH et la communication interne égalise parfois les significations et confond bien-être, bonheur, satisfaction, motivation, implication, engagement. Si l’on s’en tient à la définition de l’ANDRH, l’engagement prend pourtant un sens particulier : « L’ensemble des actions d’un salarié qui vont au-delà de la contribution demandée par le contrat de travail, qui renforce le sentiment de contribuer à un projet commun, dans le respect des valeurs de l’entreprise. »

En d’autres termes, le salarié engagé fait DAVANTAGE que son strict travail, il le fait pour l’ENTREPRISE, en mobilisant un SENTIMENT. Ce dernier point est essentiel. La plupart des auteurs insistent sur le fait que l’engagement est le seul état où le collaborateur implique toutes les dimensions de son individualité : spirituelle, émotionnelle, intellectuelle et physique. Et de surcroît, toutes les dimensions de ses préférences : emploi, consommation, citoyenneté. C’est en cela qu’il diffère de la satisfaction et de la motivation (cf. infographie 1).

Et cet engagement résulte nécessairement du libre arbitre des salariés. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à partager la même liberté que le consommateur et à se comporter, comme lui, en égo-altruistes : leurs choix sont volontaires et réversibles, et quand ils s’engagent c’est autant pour eux-mêmes que pour l’entreprise et, au-delà, la cité.

Cette liberté accrue et la dimension holistique de la relation à l’entreprise (c’est-à-dire la prise en compte de tous les aspects de la personnalité et des préférences) sont désormais partagées par de nombreux auteurs. Deux exemples :

En conclusion, l’engagement est un rapport volontaire à l’entreprise et à son environnement.

Cet état existe, même sans intervention planifiée de l’entreprise. Tout le monde a rencontré des « engagés », des personnes qui agissent comme si l’entreprise était la « leur » (on a d’ailleurs souvent envie de les associer « pour de vrai »). Ils sont en consonance cognitive (« ma spiritualité s’accorde avec la raison d’être de l’entreprise »), ont envie de partager ses valeurs et de s’appuyer sur elles pour se connecter avec leurs pairs ou leurs subordonnés et les faire grandir (émotion), trouvent le projet clair et cohérent (intellectuel) et déploient une « pêche d’enfer » (physique).

Doit-on les condamner ? Sûrement pas, dès lors que cet engagement leur profite dans la durée, qu’il ne perturbe pas leur intégrité. Il y a en effet un mauvais engagement, un surengagement qui s’apparente à l’addiction et s’incarne dans des prototypes comme le « burn-out » ou le « fanatisme ». Il y a aussi un bon engagement : Jagdish Parikh parle de « detached involvement » quand on gère son soutien à l’entreprise sans que cela se fasse au détriment des autres activités sociales, familiales.
Donc, sous cette réserve (essentielle), on ne doit pas regretter qu’il y ait des engagés… Doit-on pour autant les multiplier ? Sans doute, car l’entreprise a besoin de « porte-drapeaux » pour étayer la transformation et dialoguer, parfois se disputer, avec ses parties prenantes ou l’opinion (c’est le sens de l’advocacy). Dans un « monde d’individus », l’exemplarité est le moteur principal du changement.

Et c’est selon nous le rôle principal de la communication interne de susciter cette exemplarité en rendant les collaborateurs qui le souhaitent COPROPRIÉTAIRES DU COMMUN – purpose, valeurs, projet opérationnel – et en leur donnant les moyens de le co-élaborer, de l’actualiser, de le partager et d’inventer ou de participer à des expériences qui l’expriment et le nourrissent.

En tout cas, c’est la zone où elle paraît le plus légitime. Elle est en effet en concurrence avec les pairs, les chief happiness officers et les managers de proximité pour satisfaire, avec les DRH et le management pour motiver, mais elle ne trouve sur sa route que les dirigeants, et notamment le premier d’entre eux, pour engager. Cela vient d’ailleurs de sa mission initiale : organiser le dialogue et l’action entre l’entreprise et ses collaborateurs.

 

Alors, comment faire ?

Il ne s’agit pas de vouloir le même niveau d’engagement pour tous mais de construire son programme autour de ce que nous appelons le tunnel de l’engagement. L’engagement doit être flexible. Ce tunnel présente en effet :

  1. les niveaux d’engagement offerts (cf. infographie 2) ;
  2. les différentes dimensions de l’individualité des collaborateurs (spirituelle, émotionnelle, intellectuelle et physique) ou de ses préférences (emploi, consommation, citoyenneté).

Ce tunnel devrait pouvoir orienter les programmes de communication interne en gardant en tête des principes transversaux : l’intelligence collective, l’ouverture vers la société et les autres parties prenantes et, enfin, l’originalité, pour espérer gagner la bataille de l’attention.
À titre d’inspiration, on peut citer les suivants :

  1. Attention : création d’interfaces exclusives (hors le flux des réseaux sociaux internes), articulation fine entre personnalisation et commun, ouverture sur les préférences des autres parties prenantes, ritualisation, phygital ;
  2. Compréhension : expériences mobilisant la personne dans toutes ses dimensions, échanges avec les parties prenantes et ouverture aux évolutions des modèles économiques et sociaux, microlearning, dialogue avec le pouvoir exécutif (CEO, notamment) ;
  3. Défense : écriture collective de SWOT de réputation et d’éléments de langage, advocacy ;
  4. Contribution : co-élaboration du commun (purpose chez Orange, valeurs chez CNP Assurances, projet stratégique chez Danone), association à la gouvernance de l’entreprise (dialogue avec le conseil d’administration, par exemple) et projets divers qui permettent d’exprimer son soutien au commun (parrainage des jeunes embauchés pour l’onboarding, thought leadership sur les réseaux sociaux, participation à des initiatives citoyennes).

Reste toutefois la question d’identifier les niveaux d’engagement et les préférences pour telle ou telle modalité. La première solution est le « menu chinois » : tout offrir et laisser choisir les gens. Sans doute coûteux. La seconde et de déduire niveaux et préférences du volontariat, du sourcing par les RH et de la compréhension des données comportementales. Cette dernière solution est sans doute la plus prometteuse, même si elle doit rester sous la double contrainte de la transparence et du droit (RGPD, notamment).

En conclusion, il nous paraît que la communication interne retrouvera ses lettres de noblesse (l’attrition actuelle des budgets le rend nécessaire) si elle trouve une intention forte. Peut-être, en effet, ne paraît-elle pas assez utile aux dirigeants parce que sa mission est trop lâche : développer « l’échange de sens », « la qualité des relations internes », « le développement de la coopération »…

Un autre choix serait d’assumer sa dimension instrumentale : la communication interne, coordonnée avec la communication externe et les RH, doit permettre à la majorité des collaborateurs de soutenir le commun de l’entreprise, d’autant plus facilement qu’ils l’auront co-construit.