Professeur au Celsa, où il dirige la chaire pour l’innovation dans la communication et les médias, Yves Jeanneret plaide pour que des médiateurs intellectuels qualifiés gèrent l’accès aux savoirs et leur partage.

Yves Jeanneret

En quoi les nouveaux outils de communication améliorent-ils la transmission des savoirs ?

Les outils sont nouveaux, mais ils s’inscrivent dans la continuité des inventions développées depuis des siècles pour perfectionner les moyens d’échanger et de partager des savoirs : le livre, le journal, l’audiovisuel. Les organisations ont toujours fonctionné sur la base de flux d’informations et d’idées. L’informatique a su capter cet héritage pluriséculaire pour le rendre à la fois plus accessible,plus rapide et plus efficace. Elle s’est finalement révélée un fantastique outil de dissémination de l’écrit, en même temps qu’un nouveau média. Conçue au départ comme une science du calcul, sa puissance a permis d’augmenter de manière exponentielle la circulation des savoirs et leurs interactions. Elle a aussi induit un rythme différent, qui contribue à une culture de l’urgence dans les organisations. L’industrialisation des nouveaux outils de communication a enfin provoqué une certaine standardisation des informations. Et dans une société qui a tendance à privilégier le partage de l’information au détriment de sa validation, un nouvel équilibre reste à trouver entre les médias qui favorisent cette libre expression et ceux qui ont une plus grande ambition en termes d’engagement, de responsabilité et de vérité.

 

Pourquoi faut-il organiser une médiation des savoirs ?

L’extrême accessibilité des documents nous pousse à avoir un traitement purement logistique de l’information. Confrontés à une masse d’informations, nous ne lisons plus, nous réfléchissons peu et nous ne synthétisons pas.
Faute de temps, nous nous contentons d’accumuler et de transmettre. En conséquence, nous ne nous approprions pas les savoirs. Les organisations amplifient et accélèrent cette spirale car elles ne cherchent pas à transformer les données, à leur apporter une valeur ajoutée ou à leur donner du sens.
Or, dans un environnement de plus en plus complexe, les salariés ont besoin de comprendre ce qui se passe autour d’eux, les fonctions managériales doivent communiquer avec les fonctions techniques, l’information doit être comprise par tous les niveaux hiérarchiques. Il y a un effort à faire pour mesurer ce besoin de médiation dans les organisations et mettre en place des outils adaptés. Sinon, on ne parviendra pas à établir de véritables synergies cognitives.

 

Quels peuvent être les outils et les métiers de cette médiation ?

L’un des outils les plus extraordinaires inventés par l’humanité pour identifier et organiser les savoirs a été le catalogue de bibliothèque. Son équivalent moderne serait le moteur de recherche. C’est un outil efficace mais insuffisant car il est uniquement basé sur les usages. Il faut y ajouter une médiation intellectuelle qualifiée pour décrypter, valider et vulgariser les informations. Ce sont des tâches difficiles auxquelles il faut former des gens, à la fois en sensibilisant tous les salariés et en créant le métier spécifique de médiateur. Ce métier se situe à la croisée de la communication et de l’information, des dimensions cognitive et relationnelle. Pour les entreprises, c’est une révolution culturelle, mais les écoles ou les musées, dont la raison d’être est le partage des savoirs, sont beaucoup plus avancés et peuvent être une source d’inspiration.

 

Qu’en est-il du partage des savoirs dans les organisations ?

Le partage des savoirs a toujours été difficile et il est illusoire de penser que des outils suffiront à le rendre aisé.
Les rapports de savoir sont inséparables des rapports de pouvoir et partager son savoir présente toujours un risque. Les plateformes collaboratives fonctionnent bien lorsqu’elles répondent à un besoin de communication préexistant, surtout au sein des communautés techniques qui ont l’habitude d’échanger. Ici aussi, il faut inventer de nouvelles médiations pour que ces échanges puissent être organisés dans des domaines plus qualitatifs, pour structurer des retours d’expériences, lesquelles ont trop souvent tendance, une fois menées, à être « classées » sans être exploitées. La fonction d’animateur de communauté en entreprise gagnerait également à être clarifiée. Les entreprises se contentent parfois d’occuper le terrain pour capitaliser sur le dynamisme des réseaux, sans s’y être vraiment préparées. Alors que les organisations et les réseaux sociaux sont des formes sociales qui ne s’emboîtent pas toujours très bien.
Au total, la médiation me paraît l’orientation centrale des nouveaux communicants.