• March 2016
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Identités Verbales. Subst. fém. plur. et adj.
Image de l’entreprise formée par tous les discours de communication externe comme interne qui participent à lui donner du sens. ? « Ils n’avaient pas du tout bossé leur identité verbale, au point qu’ils ne savaient même plus comment ils s’appelaient » (un lecteur de « .com » anonyme). ? Syn. : Image narrative ; Patrimoine linguistique ; Empreinte sémantique. ? Ant. : Copier-coller ; Prêt-à-parler ; Bullshit.

Identités Verbales au pluriel

Chaque entreprise a son logo, son blason graphique qui lui permet d’être, entre toutes, reconnue. Ce logotype est une écriture visuelle, une enseigne faite de lettres, de couleurs et de formes, une calligraphie qui contribue à forger son identité. Dans ce dessin, quasi-haïku visuel, se condensent des valeurs et des promesses, autorisant celui qui l’appréhende à se forger un horizon d’attentes. Aussi l’importance de l’identité visuelle – qui passe également par d’autres productions périphériques de la marque, publicité ou site internet par exemple – est-elle claire. En ce domaine, il n’est plus nécessaire de convaincre ni de se justifier quand, pour rénover son image de marque, une entreprise engage à grand frais une agence graphique.

Côté identité verbale, en revanche, il reste encore du chemin à faire. Il existe, sur le web, un jeu populaire qui consiste à retrouver une marque à travers son logo, débarrassé seulement de quelques mentions verbales sans quoi le jeu serait trop facile. Les discours d’entreprise aujourd’hui sont souvent à ce point similaires les uns aux autres que le jeu du verbal blind test serait impensable pour reconnaître, derrière les phrases, l’instance qui les a dictées.

Pourtant, imaginez la plus belle des personnes, d’apparence avenante. C’est le soir du premier rendez-vous. Plus le temps passe, plus vous doutez cependant d’être faits l’un pour l’autre : elle ne prononce que des platitudes, ne parle que de choses convenues, on dirait un discours généré par un ordinateur. Déçu, vous la quittez, avec le sentiment amer de la promesse non tenue : l’enjeu n’est pas que de consistance (qu’a-t-elle dit ?), mais aussi de singularité (qu’a-t-elle dit qu’elle seule pouvait dire et dire ainsi ?) et d’effets produits (quels effets cela a-t-il provoqué en vous ?).

Les entreprises ont moins besoin de spin doctors que de speech doctors : la langue est tout à la fois un patrimoine, un outil du sens et un moyen non négligeable d’entrer en relation avec ses audiences… Ce capital verbal, je l’appelle souvent « mots de passe » : comme des mots de passe, les identités verbales sont, en effet, un moyen d’authentification et de reconnaissance, un moyen d’accès à ses cibles et, enfin, un moyen de sécuriser ses accès et d’empêcher la concurrence d’y pénétrer.

Identités Verbales. Mais au pluriel, pas au singulier. Pas seulement parce qu’à chaque entreprise correspond une identité verbale unique et qu’elles sont donc toutes différentes. Pas uniquement parce qu’entre discours d’entreprise et discours de marque, il peut y avoir des variations de ton et de contenu. Pas simplement parce que les différentes parties prenantes d’une entreprise ayant elles-mêmes des identités verbales spécifiques, il est essentiel de s’adapter à leurs horizons verbaux respectifs.

Mais aussi parce que, philosophiquement, je refuse l’approche identitaire de l’identité : celle qui réduit au même (à l’idem), celle qui énonce des blacklists et des to-say-lists, celle qui pense qu’il faut parler « d’une seule voix ». Je crois au contraire en une identité langagière riche et plurielle, polyphonique*. L’identité est un processus dynamique de création de soi à partir de fondamentaux posés, « une invention permanente qui se forge avec du matériau non inventé », pour reprendre une formule de Jean-Claude Kaufmann**.

Privilégier la différence dans la répétition, refléter la multiplicité des voix qui collaborent et l’irréductible valeur ajoutée de chaque porte-parole, savoir, selon les contextes et les interlocuteurs, changer de ton, s’adapter, converser. Refuser d’être une police du langage ou des dresseurs de perroquets. Défendre une certaine idée de la langue : la langue qui libère.

*A minima double. Dans Piège d’identité (Fayard, 2016), Gilles Finchelstein cite le philosophe Norberto Bobbio qui, dans Destra e sinistra, écrit : il « n’existe pas de discipline qui ne soit dominée par une quelconque « dyade » couvrant l’ensemble de son champ : en sociologie, société-communauté ; en économie, plan-marché ; en droit, privé-public ; en esthétique, classique-romantique ; en philosophie, transcendance-immanence. » Il ajoute : « en politique ce clivage, c’est gauche-droite. La réduction à l’un étouffe le débat, fondement de la démocratie.

**Jean-Claude Kaufmann, L’Invention de soi. Une théorie de l’identité, Fayard/Pluriel, 2010.