• April 2016
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La communication d’entreprise ne me semble pas avoir le courage de ses « paroles ». Souvent, le passage à l’écrit lisse la force d’une image verbale considérée comme inappropriée pour la lecture, édulcore un message qui pourrait être perçu comme trop véhément, gomme l’expression d’un parti-pris ou d’une conviction qui avait été énoncée simplement et sans détour. Pire parfois, l’écrit ne prend pas la peine de dire ce qui va de soi à l’oral. En découlent implicites et ambiguïtés : on ne dit plus ce qu’on veut dire, et personne dès lors ne peut l’entendre…

Langage oral

La culture d’entreprise circule à l’oral

La parole orale est alors écrasée, « humiliée »1, au profit d’une écriture couchée (qui aurait capitulé ?) sur papier – effet parfois glaçant… Or, je capte souvent, à l’occasion d’échanges de vive voix (ateliers de travail, steering-committees, dialogues plus informels au détour d’un couloir), de véritables pépites verbales, singulières et imagées, échos vrais de la culture d’entreprise et de la vision stratégique. Et c’est cette parole vraie, cette langue à soi, qui seule peut donner vie à une valeur partagée ou faire le suc et l’authenticité d’un discours. « Ainsi la parole est essentiellement présence. Elle est du vivant. Jamais objet. »2

Pourquoi l’écrit devrait se priver d’une telle manne sous prétexte que la métaphore est trop poussée, le style bancal ou encore le niveau de langage pas assez soutenu ? Ne préférez-vous pas de loin une écriture imparfaite, mais qui porte un sens fort, avec panache et authenticité ? Recycler l’oral à l’écrit, c’est aussi mieux prendre soin de ses ressources verbales, prendre conscience que c’est un « patrimoine » aussi précieux qu’un autre. C’est entrer dans une économie circulaire de la langue – et, par effet rétroactif, s’empêcher de parler en l’air

À qui parle votre discours corporate ?

Il y a comme un décalage entre certains textes corporate et l’époque : les réseaux sociaux ont modifié notre rapport à l’écrit, oralisé les messages, via le jeu des conversations (chat et commentaires en direct). Intonation et intention sont désormais palpables : on entend le scripteur et on se sent adressé. Le destinataire est trop souvent le grand absent de l’écriture d’entreprise. « Un texte qui n’a pas de destinataire précis est une garantie d’imprécision, de propos vagues et impersonnels. Comment un message pourrait-il convenir à tout le monde ? Même une lettre est inférieure à n’importe quelle conversation : elle est écrite dans un certain contexte, elle est reçue dans un autre. »3 À ce jeu, les Anglo-saxons sont plus forts que nous*.

Faites entendre votre tone of voice

Écrivez oral pour redonner un corps à ce destinataire ! Laissez transparaître le grain et la musicalité de votre propre voix. Écrivez comme si vous parliez à ceux auxquels vous vous adressez. Dans ce sens, un bon exercice est celui de la chaise vide. Jeff Bezos laisse, paraît-il, toujours une chaise vide lors des réunions importantes : c’est le siège du client et il s’adresse à lui en direct pour lui demander ce qu’il en pense et pour ne pas oublier que tout se décide in fine pour lui.

Savez-vous enfin qu’oreille droite et oreille gauche ne sont pas sensibles aux mêmes stimuli ? La droite, reliée au cerveau gauche, est plus réceptive à la parole chantée, la gauche, reliée au cerveau droit, est plus réceptive à la parole rationnelle. L’information se donne à gauche, les mots doux se susurrent à droite. Écrivez oral, vous aurez plus de chance de vous adresser au cerveau intime de vos lecteurs : écrivez oral et parlez-leur d’amour !

 

1 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jacques Ellul, La Parole humiliée, Paris, Seuil, 1981.
2 Jacques Ellul, op. cit., p. 28.
3 Laurent Binet, La septième fonction du langage, Paris, Grasset, 2015, p. 197.