• May 2015
  • François Guillot
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  • Influence digitale

Article paru initialement dans Les Echos le 05/05/2015.

Pour conduire le changement digital, le responsable de la transformation doit abandonner sa posture d’expert au profit d’une posture hyper-pédagogique. Se rendre accessible est le seul moyen de favoriser l’appropriation par le plus grand nombre.

Champion digital

Comment embarquer les collaborateurs et en faire des acteurs du changement digital ? Réussir à créer cette dynamique, c’est la responsabilité des champions digitaux au sein des organisations (quelles que soient leurs fonctions : chief digital officer, responsable de la transformation digitale, social media manager…).

Si on a de bonnes idées sur la manière de faire, on peut aussi avoir des idées sur les erreurs à ne pas commettre.

L’erreur : faire du digital un sujet d’experts pour les experts

En y réfléchissant, il me semble que la première des erreurs pour un champion digital est de faire de son sujet un sujet d’experts, porté par des experts, pour des experts, avec un contenu expert. Et d’en oublier d’être intelligible.

Ainsi, approcher la question du digital en parlant des technologies plutôt que de leurs usages, c’est confiner le digital à un sujet d’experts et exclure le plus grand nombre. Le plus grand nombre ne comprend pas les technologies… et il n’a pas besoin de les comprendre, mais de les utiliser.

Multiplier les néologismes (« Crowdsourcing », « social business », « UGC », « empowerment »…), participe du même problème : on crée une langue étrangère que la majorité ne parle pas. Antoine Dupin avait remarquablement parlé de ce sujet majeur et largement ignoré.

Par exemple, parler de « web 2.0 », c’est utiliser un vocabulaire technique (la deuxième version d’un logiciel) pour décrire un phénomène de participation massive (Internet par et pour les internautes). Un contresens absolu !

L’expression « web 2.0 » est d’ailleurs un peu sortie des radars au profit de « web social » et « médias sociaux », plus conformes à l’objet qu’ils décrivent. Mais son emploi a, à n’en pas douter, participé de la méfiance du plus grand nombre et retardé son adoption.

Dans la même veine, montrer des schémas illisibles comme les panoramas des médias sociaux qui pullulent sur le web reviennent, encore et toujours, à exclure le plus grand nombre.

Favoriser l’appropriation par le plus grand nombre

Tout l’enjeu est là. Les champions digitaux des grandes entreprises, qu’ils viennent du marketing, des systèmes d’information, des RH, de la communication ou d’ailleurs, ont pour premier devoir de se rendre intelligibles vis-à-vis des équipes qu’ils doivent évangéliser. Leur objectif doit être l’appropriation du digital par le plus grand nombre.

Or, on a jusqu’ici plutôt assisté au phénomène inverse : des champions digitaux heureux de leur expertise supérieure et qui aiment à démontrer leur supériorité en rendant difficile l’accès à leur sujet. Qui jouent au digital-concept-dropping : P2P, UX, ROI, KPI, CPC, SEO, user-centric, et j’en passe. Et qui, ce faisant, créent un univers de happy few et laissent le digital à son statut d’objet mal identifié.

Pourtant, dans la culture digitale, le pouvoir vient du partage de l’information plutôt que de sa rétention. C’est donc d’abord au champion digital de parler la langue des effectifs moyens de son entreprise, pas l’inverse. Le changement se fera naturellement et les équipes se mettront progressivement à parler la langue numérique.

Car, quand on fait l’effort de vouloir réellement transmettre, ça marche. Combien de fois avons-nous entendu « oh, mais ce n’est pas si compliqué quand on met les mains dedans » ?

Rendre le digital intelligible, c’est donc possible… à condition pour le champion digital de le vouloir.

Accepter de dire : « c’est facile »

Le vouloir, c’est transmettre ses compétences et partager sa connaissance plutôt qu’asseoir – inconsciemment ou pas – son pouvoir sur la connaissance unique et pointue de son domaine. Montrer que c’est facile et surtout pas que c’est difficile. Accepter de dire « vous voyez, je ne suis pas un si grand expert que ça ». Bref, faire preuve d’humilité.

C’est aussi vouloir réellement accomplir sa mission : faire monter tous les salariés d’un cran. Que ceux qui rejettent comprennent ; que ceux qui comprennent sans pratiquer mettent les mains dedans ; que ceux qui ont une pratique occasionnelle en aient une pratique quotidienne ; que ceux qui en ont une pratique quotidienne deviennent des ambassadeurs.

Et ainsi, former les leaders digitaux de demain.

Car comme dirait l’autre, le digital est un sujet trop important pour être laissé entre les mains des seuls champions digitaux.