• April 2015
  • François Guillot
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Article paru initialement dans Les Echos le 07/04/2015.

Il y a maintenant consensus sur le fait que la transformation digitale est une affaire de culture et pas seulement d’outils. Encore faut-il définir en quoi consiste cette culture avant de pouvoir la diffuser.

Il y a deux choses qui me frappent dans le grand sujet du moment, la transformation digitale des entreprises.

Définition de la culture digitale

Premièrement, le consensus autour de l’enjeu culturel : autrement dit, la transformation n’est pas qu’une affaire d’outils, mais aussi une question d’état d’esprit. Il faut acculturer les équipes, les managers, les dirigeants. Lire à ce sujet l’excellent papier de Dominique Turcq. C’est un consensus peut-être tardif, mais qu’on est heureux de constater.

Quand Google donne un gif comme réponse officielle, on est dans le sujet culturel. Quand on étudie les mêmes, on est aussi dans le sujet culturel. Quand on découvre Tumblr et ses millions de blogs thématiques tous plus créatifs les uns que les autres, on est encore dans le sujet culturel. Et quand on se demande si CV et lettre de motivation ont encore un sens, on est en plein dans le sujet culturel.

Deuxièmement, l’absence quasi totale de définition, ou en tout cas de structuration de ce qu’est cette culture, par les acteurs du changement. Une fois qu’on a dit réactivité, horizontalité et conversation, on n’a pas dit grand-chose. Car la culture digitale est presque un courant de pensée, qui emprunte autant à la science qu’à la philosophie libertaire et au mouvement punk.

1) Un rapport au temps

Le temps du web n’est pas le temps des entreprises. Le problème de l’instantanéité, de la réactivité, des circuits de validation. Le culte du nouveau, la dictature du #old.

2) Un rapport à l’espace

C’est-à-dire la mobilité et tout ce qui va avec. Le FOMO, la nouvelle relation au travail qui se tisse, le mélange de la vie personnelle et de la vie professionnelle, la progression du travail indépendant.

3) Un rapport à soi-même

Exister dans le réseau social, c’est accepter de s’exposer. C’est la question de l’identité numérique, le besoin de reconnaissance, la course aux abonnés.

4) Un rapport aux autres

Difficile de se planquer dans le digital : le vivons heureux, vivons cachés prend un sacré coup. La notion de réseau est partout, les liens faibles se développent, les valeurs de bienveillance et d’entraide reviennent sur le devant de la scène. Likez-vous les uns les autres (comme je vous ai liké).

5) Un rapport à la création de valeur

« Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose » : l’idée fondatrice de Wikipédia s’est diffusée et on valorise le co, la participation, l’intelligence collective. En même temps que l’on remet en question les hiérarchies.

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6) Un rapport à l’information

L’information, c’est le pouvoir ? Pas si sûr. C’est le partage de cette information qui donne le pouvoir. Tout est accessible, tout se sait, les entreprises sont mises à nu et le fact-checking fait tache d’huile. L’enjeu de gestion de l’abondance d’information est immense.

7) Un rapport à la data

Les chiffres sont partout et tout se mesure. L’équipe d’Allemagne s’est servie du Big data pour gagner la coupe du monde . On pilote en voyant tout de suite ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est un rapport radical à la réalité comme le dit bien Cecil Dijoux.

8) Un rapport à l’expression

Tout doit être consommable tout de suite. Il faut faire court (si possible en moins de 140 caractères) et simple, trouver des punchlines, donner à voir. Les entreprises hésitent entre style informel et style institutionnel. Quitte à verser dans le jeunisme ?

9) Un rapport à la créativité

Do it yourself ! Les gifs, le LOL, les mêmes, le leet speak sont autant de manifestations d’une culture de créativité propre au web. L’ironie est partout. Mais la créativité c’est aussi l’invention de nouveaux modèles : économie participative ou « Uberisation » de la société comme on dit désormais.

10) Un rapport à la production et à l’organisation

Le digital, c’est le mode projet plutôt que l’organisation hiérarchique. Le recyclage plutôt que la réinvention, les circuits courts, le droit à l’erreur. Un système de confiance, la croyance en la sérendipité . Apprendre en marchant et se dire que le mieux est l’ennemi du bien.

Les zones de conflit entre culture digitale et culture corporate sont nombreuses. Dit autrement, à peu près rien de tout ça n’est naturel pour les entreprises. Pas étonnant donc que le digital soit encore tant vécu comme une menace, malgré les bénéfices clairement identifiés.

Mais il faut faire avec, car le monde ne va pas attendre que les organisations se mettent en ordre de marche. Le prochain, pardon, l’actuel grand chantier de la transformation digitale est donc bel et bien celui de la culture.

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