• March 2023
  • Élise Pinsolle
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La communication managériale se laisse difficilement saisir. Pour trois raisons, qui toutes ont à voir avec la définition du management (logique, car le suffixe -ial caractérise ce qui « se rapporte à »).

Groupe de personnes

La première, et sans doute la plus importante, vient du fait que les organisations hésitent entre définir le manager comme acteur autonome ou le considérer comme une courroie de transmission. Certaines organisations tentent en effet de diffuser une conception intrapreneuriale du management, avec des services vus comme de véritables PME ; ailleurs, et parfois dans les mêmes organisations, survit une conception, tout aussi tenace, du manager comme « bras armé » de la hiérarchie, chargé de diffuser, sans les trahir, les mots d’ordre managériaux et les nouvelles procédures conçues par les services fonctionnels.

La deuxième, qui en grande partie repose sur la première, revient – notamment sous l’influence des directions de la communication – à surpondérer l’importance de l’information – kits, meetings… –, alors que les spécialistes des organisations nous avertissent qu’elle vient très en aval dans le rôle des managers. Henry Mintzberg, par exemple, définit le management par un cercle concentrique (ayant donc le même centre : concevoir, programmer, animer) :

  • le niveau de l’action : diriger l’action (il vient en premier et englobe les autres) ;
  • le niveau des personnes : relier, être leader (ensuite) ;
  • le niveau de l’information : communiquer, contrôler (enfin).

La troisième, qui là encore découle de la première, revient à considérer que les managers (dirigeants, managers de managers, managers intermédiaires) sont tous alignés/engagés. Autrement dit, que les mots d’ordre/prescriptions de l’organisation (raison d’être, valeurs, projet stratégique, par exemple) résonnent avec leur être profond : non seulement qu’ils y portent de l’intérêt, qu’ils les comprennent, qu’ils sont prêts à les défendre, mais qu’ils sont de surcroît volontaires pour contribuer à leur validation ou à leur enrichissement par leurs feedbacks.

Un statut devrait se transformer par magie (la communication ?) en engagement !

Or, il y a quelques années, l’AFCI montrait que moins de deux managers sur trois (64 %) considéraient que la stratégie de leur entreprise était adaptée et qu’à peine plus d’un sur deux (54 %) l’estimaient motivante. Sans doute les choses ont-elles dû évoluer par le soin qu’apportent désormais les entreprises à co-élaborer leurs mots d’ordre/prescriptions. On y reviendra…

Pour sortir de ces « biais », il semble qu’il faut reconnaître aux managers le rôle de « traducteurs » en acceptant, comme le dit le célèbre adage italien Traduttore, traditore, que « traduire, c’est trahir ». La réalité est parfois très difficile à transposer d’une langue à l’autre…

La communication managériale accompagne ce mouvement : faire des managers des interprètes qui donnent un sens aux signaux auxquels ils sont confrontés, en les rattachant à des cadres et à des idées générales (quitte, parfois, à les faire évoluer ; la langue vit !).

La communication managériale est un entraînement permanent d’allers-retours entre le terrain et les mots d’ordre/prescriptions de l’entreprise. C’est le cas lorsqu’on demande aux managers de chercher des preuves, mais surtout des anti-preuves ou des preuves à créer, afin d’illustrer ces généralités.

Encore le cas lorsqu’on leur suggère de faire remonter des signaux faibles qui viennent les infirmer ou les nuancer.
Encore le cas lorsqu’on valorise leur « interprétation » : réussites commerciales, innovations, développement de l’efficience organisationnelle…
Encore le cas, enfin, quand on systématise les échanges entre pairs sur les difficultés rencontrées pour traduire telle ou telle situation avec les « mots » dont on dispose.

Cette politique doit être soutenue par quelques principes simples :

  • Elle doit défendre des mots d’ordre/prescriptions de l’entreprise assez généraux (trop détaillés, ils peuvent s’apparenter à des règles), mais formulés de façon percutante (afin de pousser à l’action) et surtout explicités. On néglige souvent l’explicitation : Pourquoi a-t-on senti l’urgence d’une raison d’être ? Quels signaux avons-nous perçus qui la rendent indispensable ? Pourquoi a-t-on choisi cette formulation ? Si l’on veut inciter les managers à s’en saisir pour traduire leurs actions (bref, à se l’approprier), mieux vaut insister sur le fait que le choix des mots ne doit rien à la mode et tout à la nécessité
  • Elle est itérative, sans cesse répétée et non pas limitée à des campagnes ponctuelles (souvent liées au lancement des nouveaux éléments de langage). Il faut installer des interfaces spécifiques aux managers (médias, cercles, bilan annuel…) et permanentes, qui puissent routiniser les allers-retours entre le terrain et les mots d’ordre/prescriptions de l’entreprise ;
  • Elle inspire les managers AUTANT pour diriger que pour animer ou informer (cf. Henry Mintzberg) ; on est bien loin de la démultiplication et autre cascading… ;
  • Elle installe le rôle central des managers intermédiaires, qui font exister la stratégie sur le terrain et contribuent à la construire dans leurs conversations et leurs interactions – ils créent ainsi du sens (sensemaking) et le communiquent à leur entourage (sensegiving) ;
  • À l’inverse du sens commun, le top management devient le back-office, les managers intermédiaires le front. Son rôle, avec les directions de la communication et des ressources humaines (à l’instar des directions marketing et commerciale pour un produit ou une solution), revient à présenter les mots d’ordre/prescriptions comme des ressources pour améliorer la vie en offrant aux managers un « journey » qui saura les attirer, les convertir, les engager et les fidéliser.

Infographie Henri Mintzberg

On comprend, en lisant ces quelques principes, que la co-élaboration des mots d’ordre/prescriptions de l’entreprise n’est pas une panacée quand:

  1. elle ne les charge pas d’insights et reste un exercice de style ;
  2. elle se limite à leur définition et néglige leur épreuve dans le temps ;
  3. elle n’est pas conçue pour aider à diriger, et, enfin,
  4. elle n’embarque pas les principaux intéressés.

En effet, la co-élaboration ne concerne fréquemment que les deux extrêmes de l’organisation – dirigeants, éventuellement managers de managers, et ensemble des salariés –, de sorte que pour la majorité des managers, notamment les managers intermédiaires en prise avec le terrain, les mots d’ordre/prescriptions de leur entreprise sont ignorés ou perçus comme des règles qui contraignent plus qu’elles n’inspirent. L’inverse de la communication…